Expérience de la distribution de masse MII (2018) en République centrafricaine (RCA)

Présenté par : Dr MOYEN Jean Méthode, MD, MSc, spécialiste du paludisme

  • Coordinatrice du PNLP en RCA de 2008 à 2017 (environ 9 ans)
  • paludisme Programme Manager à l'Unité de Gestion des Subventions du Fonds Mondialau Bureau Cluster Pays de la FICR RCA de 2017 à 2018.
  • Spécialiste senior du soutien au paludisme au sein du Partenariat Roll Back paludisme RBM) pour mettre fin au paludisme depuis fin 2018.

Contexte

La République centrafricaine (RCA) est confrontée à une crise sociopolitique et sécuritaire depuis décembre 2012. Environ 80 % du territoire national est occupé par des groupes armés. Alors que le pays a connu un calme relatif de 2016 à novembre 2020, l'environnement politique et sécuritaire s'est progressivement détérioré en décembre 2020 avec des groupes armés combinés qui ont lancé des attaques dans plusieurs villes du pays.

Actuellement (2022), selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations uniesOCHA, 3,1 millions de Centrafricains, soit un quart de la population, ont besoin d'une assistance et d'une protection humanitaires1.

La RCA compte environ cinq millions d'habitants (octobre 2022)2. Selon les données de routine du système de santé, en 2020, le paludisme était à l'origine de 63 % des consultations médicales, contre 40 % en 2001. Les enfants de moins de cinq ans, qui paient un lourd tribut au paludisme, représentent plus de la moitié des cas, soit 57,7 %.

Cependant, pendant la période d'insécurité et malgré la pandémie de COVID-19, le Gouvernement de la RCA, avec l'appui de ses structures sanitaires décentralisées et de ses partenaires, a assuré la continuité des services de santé à la population. Ceci inclut la mise en œuvre de campagnes de distribution de moustiquaire imprégnée d’insecticide MII) entre 2015 et 2022 dans des régions ciblées du pays pour atteindre la couverture universelle selon les directives de l'OMS .

Organisation de lacampagne de distribution de masse du MII dans les régions 4, 5 et 6

Une distribution de masse a été planifiée par le Programme national de lutte contre le paludisme en 2017 pour accélérer l'intensification des interventions et maintenir la couverture universelle de la population avec des moustiquaires imprégnées d'insecticide à longue durée d'action. L'objectif était de protéger au moins 80 % de la population générale contre le paludisme.

Pour atteindre cet objectif, le pays avait planifié la campagne de distribution du MII pour 2017 dans les régions sanitaires (RS) 4, 5, 6 et 7, qui ne faisaient pas partie des campagnes de MII 2015 et 2016 (qui couvraient les RS 1, 2 et 3). Cette campagne a toutefois été reportée à 2018 : le contexte sécuritaire dans la RH7 (mouvements de population vers Bangui et ses environs) et dans les RH 4 et 5 (affrontements entre groupes armés) a nécessité une analyse détaillée de la situation, étayée par un atelier sur les enseignements tirés, qui a conduit à la séparation des campagnes en plusieurs phases. En outre, le choix des partenaires de mise en œuvre a nécessité un long processus pour garantir la transparence du processus de recrutement.

Malheureusement, en 2018, le pays souffrait encore des effets de la crise qui a débuté en décembre 2012, interrompant la mise en œuvre des interventions sanitaires et perturbant les contextes sociaux et sanitaires du pays. Le déplacement de la population vers les camps de personnes déplacées internes était une préoccupation majeure.

Selon les données de l'enquête surMIS indicateurs du paludisme de 2016, le paludisme était à l'origine de 65 % des consultations, contre 40 % en 2001. En 2016, la prévalence du paludisme variait selon les régions ; elle était la plus faible dans la région sanitaire 7 (21 %), qui a bénéficié de campagnes de distribution massive de MII et d'un accès aux établissements de santé et aux pharmacies, mais elle était nettement plus élevée (76 %) dans les régions sanitaires 1, 2 et 3 et atteignait 90 % dans les régions sanitaires 4, 5 et 6, où les distributions de MII n'avaient pas encore eu lieu.

Plusieurs problèmes ou défis ont été rencontrés lors de l'organisation de la campagne 2018, notamment

  • Difficulté pour la population d'accès services sanitaires et sociaux de base en raison de l'insécurité
  • Occupation de la majeure partie du territoire par des groupes armés
  • Menaces contre des fonctionnaires, assassinats et destruction d'installations sanitaires
  • Mouvements de population internes en réponse à l'insécurité, avec de nombreux sites de personnes déplacées à l'intérieur du pays
  • Absence quasi-totale d'administration publique dans certaines régions du pays
  • Défis logistiques : détérioration des routes, manque de moyens de transport

Stratégies sélectionnées ou adaptées

Pour mener à bien cette campagne MII le Ministère de la Santé a choisi de travailler avec des organisations internationales et nationales qui menaient déjà des activités humanitaires dans le pays. Le PNLP et ses partenaires ont pu discuter avec les représentants de ces organisations non gouvernementales (ONG) locales/internationales lors des réunions de coordination. Le processus de recrutement des partenaires de mise en œuvre s'est basé sur plusieurs critères (présence dans la zone, ressources humaines, expérience dans la gestion des subventions, expérience dans la prestation de services de la campagne, etc.) et a permis à plusieurs ONG d'appuyer la mise en œuvre de la campagne, comme le montre le tableau suivant :

Région de santé (HR) Sous-préfectures (SP) Partenaires de mise en œuvre
 RH 4 1. MBRES

2. KAGA BANDORO

VITALITE PLUS
3. DEKOA

4. MALA

5. DJOUKOU

CRADEC
6. BAMBARI

7. GRIMARI

8. BAKALA

ÉQUIPE DE SAUVETAGE
9. KOUANGO ACDES
10. IPPY ASSOMESCA Ippy
RH 5 11. NDELE PUI
12. BAMINGUI
13. BIRAO MAHDED
14. OUANDA DJALLE
15. BRIA
16. YALINGA
17. OUADDA
RH 6 18. OBO

19. ZEMIO

20. DJEMAH

21. BAMBOUTI

JUPEDEC
22. BANGASSOU

23. BAKOUMA

ACAMS
24. RAFAI ASSOMESCA RAFAI
25. OUANGO

26. GAMBO

LEVIER PLUS
27. ALINDAO

28. MINGALA

29. KEMBE

30. SATEMA

31. ZANGBA

32. MOBAYE

REMOD
RH 7 33. BANGUI CRCA

Tableau 1 Partenaires soutenant lacampagne de distribution de masse 2018 MII

Le PNLP a rencontré ces partenaires dans les différentes régions pour connaître le contexte et les conditions pratiques de mise en œuvre. Après le recrutement, le PNLP a travaillé avec les ONG sélectionnées pour adapter les plans existants au niveau macro et développer des microplans alignés sur le contexte spécifique de chaque zone ciblée.

La campagne a été confrontée à de nombreux défis, notamment le mécontentement de certaines autorités et de certains groupes armés, l'insécurité et les affrontements entre groupes armés, et les déplacements de population entre les régions. Pour surmonter ces difficultés, le PNLP a dû renforcer la communication par des réunions de plaidoyer et plaider auprès des autorités locales (administration, santé, société civile, leaders d'opinion, représentants des jeunes et des femmes) pour mobiliser les ménages afin qu'ils participent à la campagne.

Le PNLP a également dû plaider auprès des groupes armés (Seleka, anti-Balaka ou leurs factions ou groupes dissidents) pour l'accès sécurisé et la libre circulation des personnes (à la fois les travailleurs de la campagne et les bénéficiaires des ménages) vivant dans des localités où les autorités publiques n'étaient plus présentes et fonctionnelles ou dont la position avait été fortement affaiblie. Le contexte sécuritaire a obligé le PNLP à collaborer avec des groupes armés qui contrôlaient environ 80 % du territoire national et qui disposaient des ressources logistiques nécessaires à la mise en œuvre de la campagne.

Logistique

Pour atteindre certaines des zones ciblées dans la région HR 6 (comme Zemio), les MIIs ont été transportés par avion. Dans d'autres, comme dans le nord (comme dans le cas de Birao), il a fallu envoyer les MIIs plus tôt, car il fallait environ trois semaines pour les acheminer à destination avant que les routes ne deviennent impraticables pendant la saison des pluies. Pour fournir les MIIs aux équipes dans les communautés, l'opération logistique a dû utiliser les moyens de transport disponibles localement (véhicules 4×4, motos, ânes, pirogues, bicyclettes, porteurs, etc.)

Stratégie

La coordination, l'appui à la mise en œuvre et la supervision l'approvisionnement et de la gestion financière ont été décentralisés par des équipes de renforcement, et des plans de mise en œuvre sur le terrain ont été établis et adaptés au contexte du terrain pour atteindre les résultats souhaités. Ces adaptations de stratégies ont été faites pour gagner la confiance des autorités locales, de la population et des groupes armés, mais aussi pour prendre en compte les mouvements de population qui ont laissé certains villages complètement vides, les camps formels et informels de personnes déplacées internes nouvellement créés, l'augmentation des coûts de location des véhicules, du carburant, etc.

Principales réalisations

Malgré la complexité de la situation, la campagne s'est globalement bien déroulée, les acteurs de la campagne étant satisfaits des résultats obtenus.

Au cours de la phase d'enregistrement et de distribution, environ 667 761 MIIs ont été distribués dans les régions sanitaires n° 4, 5 et 6 (94 % de la quantité prévue). Quelque 604 662 de ces MIIs ont été distribués dans le cadre d'une stratégie de porte-à-porte (91 % de la quantité prévue), 43 594 MIIs ont été distribués aux personnes déplacées (soit 87 % de la quantité prévue) et 19 505 MIIs ont été distribués à des groupes spéciaux (84 % de la quantité prévue). Au total, 224 607 ménages ont été visités (soit 89 % des ménages répertoriés dans les microplans) et une population de 1 106 115 personnes a été enregistrée (soit 95 % de la population totale).

Au cours de la phase d'enregistrement et de distribution, environ 667 761 MIIs ont été distribués dans les régions sanitaires n° 4, 5 et 6 (94 % de la quantité prévue). Quelque 604 662 de ces MIIs ont été distribués dans le cadre d'une stratégie de porte-à-porte (91 % de la quantité prévue), 43 594 MIIs ont été distribués aux personnes déplacées (soit 87 % de la quantité prévue) et 19 505 MIIs ont été distribués à des groupes spéciaux (84 % de la quantité prévue). Au total, 224 607 ménages ont été visités (soit 89 % des ménages répertoriés dans les microplans) et une population de 1 106 115 personnes a été enregistrée (soit 95 % de la population totale).

Parmi les autres grandes réalisations, on peut citer

  • les efforts de plaidoyer , qui ont conduit à la contribution des groupes armés aux différentes étapes de la campagne
  • Le soutien de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies (MINUSCA) pour le transport des MIIs dans certaines zones.
  • L'engagement des autorités locales (sous-préfet, maire, chefs de quartier et religieux, jeunes)

1 https://gho.unocha.org/central-african-republic
2 https://www.worldometers.info/world-population/central-african-republic-population/