Le paludisme reste l’une des maladies les plus dangereuses au monde, et l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII) demeure l’un des moyens les plus efficaces de protéger les gens contre cette maladie. Les MII ne sont efficaces que si les foyers croient en leur efficacité pour prévenir le paludisme et les utilisent correctement. L’un des principaux obstacles à la distribution des MII (que ce soit par une campagne de distribution massive ou par des canaux de distribution permanents), à leur utilisation, à leur entretien et à leur réparation, est la désinformation et les rumeurs. Si elles ne sont pas contrôlées, elles risquent d’éliminer tous les progrès que les pays ont pu faire pour réduire le poids du paludisme dans leur pays.
Plusieurs pays qui distribuaient des MII pendant la pandémie de Covid-19 ont été victimes de rumeurs liant le Covid-19 aux MII ou à la campagne de distribution de MII. Cependant, les rumeurs concernant le paludisme ou les MII étaient présentes bien avant la pandémie de Covid-19 et comprenaient des affirmations telles que :
- L’efficacité de la MII : « Les MII ne fonctionnent pas et si vous dormez sous l’une d’elles, vous serez stérile ».
- Les rumeurs liées à la culture : « Si les MII proviennent du (groupe religieux particulier), alors cela vous fera vous convertir à leur religion ».
- La désinformation à caractère politique : « Le gouvernement ne distribue des MII que pour obtenir votre vote ».
En juillet 2021, de nombreux comtés du Liberia ont commencé à signaler l’émergence de rumeurs liant la campagne de distribution de MII au Covid-19. Ces rumeurs sont apparues parce que l’augmentation des cas de Covid-19 pendant la troisième vague au Liberia a coïncidé avec la distribution de MII au travers de la campagne de distribution massive. La portée et l’ampleur de ces rumeurs variaient considérablement d’un comté à l’autre, allant de rumeurs localisées rapidement dissipées à des rumeurs au niveau du district qui ont entraîné un refus d’accepter les MII, une mauvaise utilisation des MII, et même la destruction des MII.
Du 9 au 12 juillet 2021, le programme national de lutte contre le paludisme a mené une évaluation rapide auprès des équipes sanitaires de comté (ESC) afin d’évaluer la portée et l’ampleur des rumeurs affectant la campagne de distribution des MII. Les rumeurs ont été identifiées dans huit comtés et auraient affecté environ 33 districts (sur un total de 54 districts). Trois des ESC ont signalé que les rumeurs s’étaient répandues dans tout le comté. Les rumeurs reflétaient des perceptions négatives des MII, notamment des opinions selon lesquelles les MII sont nocives, mortelles et capables de transmettre le Covid-19 aux humains. Les rumeurs qui ont circulé portaient également sur des questions liées à la production, à l’accès et à l’utilisation des MII. Voici quelques rumeurs spécifiques signalées (organisées sous un thème central) :
Rumeurs concernant le Covid-19
- Le ministère de la Santé a placé le virus du Covid-19 dans les moustiquaires
- Le ministère de la Santé distribue des moustiquaires pour augmenter le nombre de cas de Covid-19
- Les agents de santé placent le virus du Covid-19 dans les moustiquaires
- Les moustiquaires contiennent/sont contaminées/infectées par le virus du Covid-19
- La moustiquaire est à l’origine du coronavirus et tue des gens
Rumeurs décrivant les moustiquaires comme nuisibles
- Puisque les Noirs ne sont jamais morts comme les Blancs, ils nous ont apporté des moustiquaires pour que nous mourions
- Les moustiquaires tuent les gens
- Les moustiquaires contiennent des produits chimiques qui tuent les gens pour réduire la population
- Ces moustiquaires contiennent trop de produits chimiques, c’est pourquoi ils nous ont demandé de les suspendre à l’extérieur avant de les utiliser
En général, les rumeurs ont eu un impact très négatif sur la campagne et l’utilisation des MII. Un certain nombre de comtés ont signalé :
- Des retards dans la distribution des MII liés aux rumeurs, car de nombreux foyers ne sont pas venus chercher leurs moustiquaires aux points de distribution fixes.
- Des implications financières liées aux opérations d’achèvement dans leurs districts concernés, en particulier si ces opérations nécessitent de couvrir une vaste zone géographique.
- Les MII sont mal utilisées et dans certains cas extrêmes, elles sont brûlées.
L’évaluation rapide avait pour but non seulement d’évaluer la portée et l’ampleur de la rumeur, mais aussi d’aider à planifier une réponse. Il s’agissait notamment d’une enquête sur les différents canaux de communication qui pourraient être utilisés pour répondre aux rumeurs. Les activités de changement social et comportemental (CSC) ou canaux de communication les plus fréquemment mentionnés comme étant les mieux adaptés aux zones touchées sont les réunions communautaires et les discussions de groupe, les volontaires de santé communautaire (VSC) et les assistants de santé communautaire (ASC), les crieurs publics et les annonces véhiculées dans la rue, ainsi que les médias de masse tels que les stations de radio locales.
Les rumeurs ont été identifiées pendant la mise en œuvre effective, alors que de nombreuses ESC n’avaient pas encore entrepris les activités de CSC prévues. Compte tenu de la portée et de l’ampleur des rumeurs, il était essentiel que la réponse soit immédiate. À la suite de séances de réflexion avec les ESC, une série d’actions immédiates ont été recommandées pour répondre aux rumeurs :
À tous les niveaux, programme national de lutte contre le paludisme et ESC, avec le soutien des partenaires :
- Poursuivre les activités des CSC pour promouvoir l’utilisation correcte des MII. Clarifier l’objectif, les avantages et l’accès aux moustiquaires pour les publics prioritaires (femmes enceintes, jeunes enfants).
- Répondre aux rumeurs dans le cadre de la promotion permanente des MII.
- Éviter que les rumeurs ne continuent à circuler (ne pas répéter les rumeurs dans les espaces publics).
- Partager les points de discussion actualisés afin de garantir la cohérence des messages importants entre toutes les parties prenantes.
- Tirer parti de l’évolution de la « bonne volonté » pour promouvoir les avantages et la bonne utilisation des MII.
Engagement communautaire (au niveau de la communauté et du district) :
- Cibler les districts où les rumeurs sont répandues.
- Engager le dialogue avec les chefs locaux et religieux (ceux avec lesquels le dialogue a déjà été engagé et les autres) dans les districts touchés à travers des réunions de sensibilisation et des assemblées publiques afin de discuter des rumeurs identifiées, de fournir à la population des informations correctes et de plaider pour leur assistance afin de répondre aux rumeurs.
- Utiliser les témoignages des membres de la communauté qui utilisent déjà correctement les MII pour motiver leurs concitoyens par le partage d’expérience.
- Impliquer les ASC et les VSC dans les efforts de promotion de la santé au niveau communautaire.
- Diffuser d’autres entretiens télévisés pour partager des informations précises sur les MII, notamment sur leurs avantages, leur préparation et leur utilisation correctes.
- Imprimer et diffuser les affiches existantes sur l’utilisation des MII et les visites prénatales (soins prénatals). Diffuser auprès des établissements de santé et des communautés cibles.
- Augmenter l’utilisation de la publicité de sensibilisation (c’est-à-dire les annonces véhiculées dans la rue).
- Diffuser des messages sonores promouvant l’utilisation des MII sur les stations de radio communautaires.
- Surveiller en permanence les rumeurs supplémentaires et/ou l’augmentation des rumeurs dans de nouvelles zones du comté.
Au niveau national :
- Communiqué de presse (d’un fonctionnaire influent) en faveur de l’utilisation des MII, décrivant clairement les avantages.
- Diffuser des messages sonores promouvant l’utilisation des MII sur les stations de radio nationales.
Plusieurs enseignements essentiels ont été tirés au Liberia pendant cette crise. Pour le CSC, aucun n’a été plus important que le besoin d’avoir un plan de gestion des rumeurs solide, qui détaille entièrement le processus de gestion et de réponse aux rumeurs. Avec l’aide de partenaires techniques, le programme national de lutte contre le paludisme avait rédigé un plan de gestion des rumeurs, mais celui-ci n’a jamais été finalisé ni budgétisé. Ce manque de fonds disponibles peut entraîner des retards dans la réponse aux rumeurs, ce qui augmente le risque que les rumeurs se propagent davantage et deviennent ingérables.
À l’avenir, il est essentiel que les programmes nationaux de lutte contre le paludisme veillent à ce que des plans de gestion des rumeurs solides et détaillés soient élaborés, que ceux-ci soient budgétisés, approuvés et adoptés, et que les différents éléments du plan (y compris les rôles et responsabilités de toutes les parties prenantes) soient diffusés avant la mise en œuvre de la campagne.
En s’inspirant des divers enseignements tirés, l’APP a élaboré un guide détaillé sur la gestion des rumeurs et un modèle pour guider à concevoir un plan de gestion des rumeurs dans le cadre du paquet de macroplanification. Nous renvoyons au lien suivant sur le site internet de l’APP.